• La lettre

    La lettre

    Cela faisait 280 années que nous combattions un ennemi inconnu. Dans la vaste mécanique militaire, nous étions deux pièces usées qui, une fois remises à neuf, devaient retrouver leur position en première ligne. Linn était tout ce qui me restait de mon passé, tout ceux que j’avais quitté étaient morts depuis bien longtemps. Les sauts dans l’espace et le temps nous avaient rendus solitaire. Au seuil de l’inconnu,  nous voulions épuiser en quelques semaines tous les plaisirs de la vie. Mais le plus grand des plaisirs, c’était de passer ensemble nos derniers jours de liberté. Rien n’aurait pu nous plaire davantage. Rien ne pouvait nous atteindre sauf une affectation dans des bases et contingents différents. Je fus affecté sur le polar gate et Linn sur le croiseur Xoor.  Nous étions tous deux effondrés par cette funeste nouvelle. Nous avons demandé audience auprès du Master chief.

         - Je veux faire modifier nos affectations ! Je désire disposer du capitaine Linn Marson comme second. Nous combattons ensemble depuis le début.

         - Votre effectif est déjà complet Major fox.

         - Comprenez ce que cela signifie pour nous ! Même si nous survivons tous les deux, les transferts spatiaux vont créer une faille temporelle entre nous.

         - Lorsque le major fox reviendra, l’autre sera peut-être mort depuis des lustres, reprit Linn.

         - L’armée établit son programme en terme de siècles, pas en terme d’individu.

    Linn partirait la première. Il nous restait un jour et une nuit. Puis ce sera la solitude interminable. Nous perdions tous les deux beaucoup plus qu’un compagnon car nous restions l’un pour l’autre le seul lien nous rattachant au passé,  à cette bonne vieille terre du 21ième siècle, monde disparu où notre jeunesse était morte. A sa place, l’univers pervers, grotesque et primaire où nous nous débattions pour survivre dans cette lutte stupide.

    Le départ de la navette de Linn se fit dans un long vrombissement triste comme le bruit du cercueil descendu dans sa tombe. Etincelante, une nouvelle étoile apparue à l’est quelques heures avant le lever du soleil… le vaisseau de Linn. Sa luminosité s’estompait  au fur et à mesure qu’il s’éloignait  pour n’être qu’un point brillant, simple étoile parmi les étoiles. Linn oh Linn, que vais-je devenir sans toi !

    Assis au pied de cette falaise où nous venions jadis observer le jour se lever, j’entendais le bruit des vagues deux cents mètres plus bas. Il était tentant de sauter, je jouais avec cette idée jusqu’au lever du soleil. Mais ce fut seulement une idée. Pourtant je ne craignais pas la souffrance fugitive et je n’avais plus rien à perdre. Presque tout ce qui était moi appartenait désormais à l’armée. Mais sauter, c’eut été reconnaitre ma totale allégeance, ma défaite. L’armée régissait ma vie, je n’allais pas lui offrir ma mort, elle ne méritait pas cette victoire.

    Je suis parti rejoindre mon contingent. J’ai mené bataille contre cet ennemi. Durant le décollage qui clôturait notre mission, je me dis que nous avions une fois de plus perdu notre base en massacrant un grand nombre de créatures dont nous ignorions presque tout. L’éclaireur nous conduisit à la navette de sauvetage placée en orbite. Un vrai plaisir de pouvoir quitter sa tenue spatiale et de respirer un air qui ne sentait pas le fox recyclé. Toute une flotte gravitait autour du Star mother ship lorsque nous arrivâmes 350 ans plus tard. Nous avons été accueillis en véritables héros et c’est là que nous avons appris que la guerre était finie depuis 221 ans. Tout ceci correspondait à l’année 3177. Notre contingent était le dernier attendu. Après notre départ, Star mother ship serait détruite. Elle n’a été maintenue en activité que pour assurer le retour et la démobilisation des troupes.

    Il y a des planètes très accueillantes pour les vétérans de mon espèce. J’ai choisi paradis, troisième satellite de Mizar. Avant de partir, on me donna mes dossiers personnels. Ils étaient bien plus épais que les autres. Je venais de beaucoup plus loin dans le passé et Linn hantait toujours mon présent. Un feuillet jaune avait été agrafé à la première page du dossier. Je ne pouvais pas le rater. Cette lettre avait été écrite 280 années plus tôt et j’en reconnaissais l’écriture de Linn, même après tout ce temps.

    Star mother ship, 21 juin 2889.

    Fox, tout est dans ton dossier personnel et je sais que tu es capable de le balancer sans l’ouvrir . Aussi je tente une chance supplémentaire. J’espère au moins que tu liras ce mot. Tu le vois j’ai survécu. Peut-être as-tu eu aussi ce bonheur. Rejoins-moi, je pars pour cette planète qui porte le nom de paradis, troisième satellite de Mizar. Avec cinq vétérans, nous avons acheté un vieux croiseur. Il nous sert de machine temporelle. Nous plongeons jusqu’à cinq années lumière de paradis et nous revenons. Tous les dix ans je vieillis d’environ un mois. Si tu reviens sans problème de ta dernière mission, je devrais avoir trente six ans à ton arrivée. Dépêche-toi !!

    Peu m’importe que tu aies trente six ans ou quatre vingt onze. Si je ne peux être ta femme, je serai ton infirmière.

    Linn

     

    Chronique du Daily Paradise, gazette du nord-est de Paradis.

    Rubriques des naissances : Le capitaine Linn Marson et le major Fox Dexter ont le plaisir de vous annoncer la naissance de leur enfant Tom Dexter-Marson né sur paradis le 17 Septembre 3180. Toute la rédaction souhaite longue vie à cet enfant.

    Fin de communication.

     


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  • Commentaires

    1
    Numéro de série 23 Profil de Numéro de série 23
    Lundi 2 Mars 2009 à 18:52
    Excellentes idées, notamment cette démobilisation temporelle et cette impitoyable mécanique logique. J'ai fort apprécié, major Foxxy.

    Par contre tes articles apparaissent souvent en double sur le calendrier, est-ce là aussi la conséquence d'une distorsion temporelle ?
    Et au fait, cette surprise au sujet de mon avatar, aurais-je droit à d'autres indices ?
    2
    Lundi 2 Mars 2009 à 18:57
    Quelle belle nouvelle, porteuse d'espoir.
    J'ai adoré!
    Bisous Capitaine
    3
    childar Profil de childar
    Lundi 2 Mars 2009 à 19:03
    Magnifique!
    Et c'est un vrai bonheur à lire après une journée complète d'examens! (7h30 d'examens en tout)
    4
    Lundi 2 Mars 2009 à 19:22
    Merci à vous qui me soutenez, ça réchauffe le coeur et cela encourage. Mon cher Loup des neiges, le fait de répétitions sur les articles d'un jour viennent du fait que dans mes articles de colonne droite, dans le module "mes histoires" dans lequel il y a une rubrique "mes mots, mes histoires" est assez peu visité, c'est pourquoi je positionne souvent les nouveaux articles dans mon édito !! Je sais qu'il faudrait que je donne un coup de torchon dans mon univers, je le ferai quand le temps me le permettra.

    Dans tous les cas merci à toutes et tous !
    5
    Mardi 3 Mars 2009 à 22:16
    Une lettre du passé dans le futur, bravo! Il fallait oser! J'aime les happy end.
    6
    Mercredi 4 Mars 2009 à 23:56
    J'aime tellement que j'en voudrais bien un film ! :-) Ou un gros livre. Ces balades temporelles entrouvrent les portes d'une curiosité rêveuse, d'autant plus que dans ta nouvelle, elles prennent la forme d'évidences de vie, le temps est comme un paysage supplémentaire, une dimension à part entière. C'est une riche idée. Et l'amour qui traverse toutes les distances pour triompher, quel bonheur !! 
    ;-) 
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