• En perçant ainsi les mystères de notre lointain passé, nous remontons le temps jusqu'au BIG-BANG.

    Il y a donc des milliards d'années lumières, Energie et Espace vivaient heureux dans leur paisible boule de cristal. Mais un jour, Energie enfanta dans un chaos de bonheur. De leur amour naquirent deux frères jumeaux : Cosmos et Univers.

    Par ce BIG-BANG magistral, la boule de cristal explosa de joie.

    Les deux frères grandirent ensemble sous l'autorité du sage Espace et de la joyeuse Energie. A leur majorité, ils reçurent en héritage la moitié de l'espace sidéral. Partageant tout depuis leur tendre enfance, les jeux de billes comme la connaissance, ils tombèrent amoureux de la même fille : la belle Nuit. Afin de conquérir ses charmes, ils voulurent satisfaire ses moindres désirs. Profitant de leur jalousie, elle soustrayait de leur rivalité mille présents. Pour ses yeux langoureux, ils lui offrirent chaque nuit plus de planètes plus de galaxies que la nuit précédente. Des telluriques rubis aux gazeuses émeraude en passant par les océanes topazes,

    La Nuit se paraît de mille colliers de perles lunaires, d'immenses rivières
    d'étincelants diamants solaires. De même, la belle ornait sa chevelure de couronnes de glaces, baguait ses doigts d'anneaux stellaires. Au petit jour, dans sa robe scintillante de mille étoiles, la belle Nuit disparaissait.
    Voilée par l'aurore, elle abandonnait ainsi nos deux chevaliers servants.

    Enivrés de sa beauté sans pareil, chaque jour les deux frères jumeaux repoussaient l'horizon pour quérir les splendides bijoux, les innombrables joyaux de l'espace. Leurs filets de pêches ratissaient tous les bans de comètes. Ils fouillaient chaque nébuleuse, semaient des pluies d'astéroïdes. La conquête de la Nuit était à ce prix : agrandir inlassablement les champs d'étoiles filantes.

    Or la Belle Nuit était insatisfaite au fond d'elle-même. Ses princiers cadeaux perdaient peu à peu de valeur à ses yeux. Par leur multitude ils lui étaient de moins en moins attrayants. Eprise toujours de nouveauté, elle se lassa de leurs présents.

    Admirant les trésors qu'ils avaient amassés pour séduire leur princesse, nos deux futurs rois s'inquiétèrent de son silence. Les champs avaient été des plus productifs. Toutes les étoiles, toutes les galaxies, toutes les planètes avaient été cueillies. Et les récoltes étaient terminées.

    Découragés de son soudain dédain, les deux princes s'enquéraient avec empressement de son insatisfaction. Dans cette chasse éperdue avaient-ils oublié quelque chose ? Que pouvait-il lui manquer ? Quelles nouvelles offrandes sortiraient de sa mélancolie leur déesse nocturne

    Le défi fut donc de trouver quelque chose d'unique. Dans un premier temps ils cherchèrent chacun de leur côté : En vain ! Furieuse de leur échec, la princesse de la nuit ajouta une nouvelle exigence afin de motiver davantage ses prétendants. Elle s'unirait à celui qui donnerait vie à son Amour. L'autre serait, alors, exilé de son lit d'étoiles, de planètes et de galaxies jusqu'à la fin des temps. Ainsi s'amplifiait la rivalité entre les deux frères. Ne sachant où trouver ce qu'elle réclamait, après leur second échec, Cosmos et Univers décidèrent d'interroger leurs parents. Energie et Espace furent heureux de revoir leurs deux fils. Ils les félicitèrent de leur expansion spatiale commune. Cependant ils s'alarmèrent en apprenant le réel motif de leur extension individuelle. Espace s'étouffa de colère en entendant parler de la déesse de la nuit. Il soutint qu'aucun prétexte ne justifiait la recherche de la Vie.

    Le mot était lâché : la Vie. Voilà ce qui leur manquait. Mais où trouver la Vie ? A cette question, Espace conserva un moment le silence. Selon lui, Ils ne pouvaient pas prétendre à la quête de la Vie. Notamment si elle est l'unique objet de la satisfaction d'une opportuniste telle que la Nuit. A ses yeux, ils étaient devenus le jouet de cette extravagante et rien de bon n'en résulterait.

    Energie, avec audace, calma d'un baiser la sagesse d'Espace. A l'insu de son époux, elle donna à ses enfants l'indication suivante : « La Vie est le fruit de l'Amour, de l'Harmonie et de l'Equilibre ». Vous ne la trouverez que dans l'entente et dans la paix !

    Ni trop loin, ni trop prés d'une étoile, ils trouvèrent alors l'Equilibre. Ni trop chaude, ni trop froide, ils trouvèrent l'Harmonie. Répondant à ces circonstances favorables, une petite planète bleue peuplée de dinosaures et de plantes rustiques se distingua des géantes gazeuses et des lunes arides.

    Ils contemplaient ainsi l'exemple même de la Vie. Ils réalisèrent qu'il n'existait
    malheureusement qu'un seul exemplaire de ce miracle vivant. Or cela correspondait parfaitement aux exigences de leur belle Nuit. Mais qui des deux frères pourrait offrir ceprésent unique ? Qui des deux recevrait en retour l'Amour de la déesse nocturne ?

    Oubliant les conseils de leurs parents, Cosmos et Univers devinrent des frères ennemis. Ils décidèrent que tout se jouerait sur un champ de batailles et que ce duel fraternel n'avait qu'un seul aboutissement : la mort de l'autre. Les deux belligérants prirent les armes. Ils levèrent des armées de systèmes solaires. Cosmos catapulta des étoiles qui explosèrent en supernovae.

    Univers se protégea de trous noirs et répondit avec des quasars. Les perséides de Cosmos s'opposèrent aux comètes de son ennemi fraternel. Les astéroïdes d'Univers servirent de boucliers. Les duellistes Cosmos et Univers pulvérisèrent des milliards de galaxies. Pour un seul baiser espéré de la belle Nuit, ils avaient oublié l'objet même de leur quête. Au nom de la Vie, ils ne juraient que par la Mort et la destruction. L'harmonie fit place au chaos, l'équilibre à l'instabilité, l'amour à la haine.

    Dans leur lutte fratricide, ils oublièrent la présence de la Terre. Enjeu de leur défi, elle se tenait au milieu des champs de batailles. Elle fut ainsi prise entre les deux feux. Dans leur folie meurtrière, tous deux perdirent la Vie. Personne ne su qui d'une comète ou d'un astéroïde avait pu faire disparaître les dinosaures de la planète bleue.

    Depuis, personne n'a reçu le baiser tant attendu de la belle Nuit. Insatisfaite, son Amour ne rencontrerait jamais le jour. En outre, Energie et Espace cherchèrent désespéramment leurs deux enfants jouant aux billes.

    Depuis, sur Terre, la paix avait disparu. Cherchant une réponse à leurs conflits perpétuels, les Hommes scrutent encore dans le ciel infini la preuve de cette lutte éternelle. Ainsi notre propre vie n'aura d'avenir tant que l'Amour fraternel ne reviendra pas.

     


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  • Perception
       Dans l'obscurité, la pupille s'ouvre plus. La même couleur sera perçue plus foncée sur un fond clair que sur un fond sombre. Toujours par action d'opposition, nous estimons la teinte d'une couleur en fonction des teintes environnantes. Cet effet est d'autant plus sensible que la couleur est peu saturée. La couleur n'est pas une caractéristique propre d'un objet. Elle dépend de la qualité de la lumière qui l'éclaire. L'objet ne réagira pas de la même manière à la lumière du soleil et à celle diffusée par un néon.

     Toutefois toutes les caractéristiques citées plus haut sont-elles suffisamment fidèles pour la vision du monde qui nous entoure. La lumière est composée de grains d'énergie, les photons. Ceux-ci réagissent au contact de la matière qu'ils inondent et percutent. Certains sont absorbés, d'autres, au contraire, arrivent dans la pupille de nos yeux. Ce sont eux qui sont responsables de la couleur. Il y a eu échange d'énergie avant et après le choc sur la matière.

    Le contraste des luminosités est probablement l'élément le plus perturbant pour la "lecture" des couleurs. Notre œil s'adapte à l'intensité lumineuse moyenne d'une scène. Dans un environnement très clair, la pupille se ferme pour "réguler" le flux de lumière reçue. L'environnement a une forte influence sur notre vision. Notre perception des couleurs est toujours faussée, parce que lorsque l'on regarde un objet, l'œil a tendance à "mesurer", à comprendre, à évaluer sa couleur en fonction de la scène qui l'entoure.

    Nos yeux dans toute cette histoire se sont adaptés au flux de photons qui ont réfléchis sur tout ce qui est matière autour d'eux. Ainsi nous voyons le monde qui nous entoure. Ces photons sont ensuite transmis sur le tapis rétinien qui tapisse le fond de nos globes oculaires. Transformés en impulsions électrochimiques, les lobes liés à la vision de notre cerveau vont décrypter les stimuli en images. Mais est-ce bien des images réelles ?

    Cela représente ce que notre cerveau a vu au travers de ce long cheminement. La lumière (les photons) a percuté la matière (ce que nous regardons). Celle-ci a une couleur, une forme, un contraste, une luminosité. Notre œil s'adapte, reçoit l'information lumineuse, la transforme en réaction chimique qui elle-même est interprétée par notre cerveau. Il y a forcément de la perte en ligne dans tout cette chaîne !

    Ce que nous percevons est réalité ?

    Une image de la réalité ?


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  • Imaginez un funambule qui traverse son fil du point A au point B.
    Que voit-il ?
    Il voit ses pieds avancer sur ce câble tendu.
    Que va-t-il constater ?
    Il se déplace du point initial au point final dans un espace à une dimension, celle du câble qui le supporte.
     
    Imaginez maintenant une coccinelle qui circule sur le même câble.
    Que voit-elle ?
    Elle voit un long chemin cylindrique et ne perçoit même pas l'autre extrémité du câble sur laquelle elle évolue.
    Que va-t-elle constater ?
    Elle se déplace sur la paroi rugueuse du câble dans un espace à deux dimensions puisqu'elle peut aussi bien aller faire le tour du câble pour voir si l'air y est plus doux ou avancer comme le funambule.

    Imaginer maintenant une jolie petite bactérie qui se déplace, à son rythme certes, sur le même câble. Imaginons encore que cet organisme puisse avoir la faculté de voir.
    Que voit-elle ?
    Un méandre de fibres métalliques qui forment le câble du funambule.
    Que va-elle constater ?
     Elle se déplace quelque part à la surface d'un des nombreux brins de la torsade du câble. Elle passe d'un brin à l'autre, empruntant des monts et des vallées. Elle est persuadée de se mouvoir dans un espace à trois dimensions.


    Attention donc à l'observation du monde qui nous entoure. Il peut nous jouer des tours selon que l'on considère la vision du funambule, de la coccinelle et de la bactérie.

    L'espace qui nous entoure n'est qu'une représentation de ce que l'homme y voit. Attention donc à ne pas être nous-même piégé par notre vision réductrice d'un monde complexe et sans limites aucunes à notre échelle.



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  •  

    Les voleurs de rêves

          Mon antivirus onirique me signalait une tentative d'intrusion dans mon rêve de ce milieu de nuit. Heureusement que j'avais pensé à faire la mise à jour sur le Canal des Rêves partagés. Depuis peu, les dormeurs pacifiques s'étaient regroupés en association loi 1901 et partageaient dans un esprit communautaire les tuyaux de parades aux multiples tentatives d'intrusions dans nos univers furtifs nocturnes. 

          La législation restait timorée sur le sujet, laissant un vide juridique qui permettait toutes les audaces à ces nouveaux pirates. Dans nos rangs, les pétitions circulaient...Les écologistes, à cours d'arguments sur les verdures de toutes feuilles, se chamaillaient dans leurs troupes sur l'éventualité d'une récupération du thème. Le sommeil étant aussi universel que la mort, l'électorat potentiel était infini, mais les rêves se révélaient au final peu médiatiques : personne n'avait pu obtenir d'images et les téléspectateurs en voulaient méchamment aux reporters, qualifiés sans autre jugement d'incompétents. Les écoles de journalisme ne parvenaient plus à faire bancs combles et les gamins inventaient une professions de substitution à leurs parents du métier pour ne pas se faire huer dans la cour de récréation.
         Les scientifiques ne disaient rien sur le sujet et en pensaient d'ailleurs fort peu. Ils esquivaient au besoin par des philosophades d'écoliers fénéants :
       -Apportez-moi un morceau de rêve, et là, j'y croirais!

        Car les scientifiques ne rêvent pas, ou alors clandestinement. Le professeur Carnot qui affirmait avoir rencontré un théorème à la fin d'une nuit laborieuse de 11 heures avait disparu depuis dans des circonstances étranges. Et étrangement, le Conseil des Grands Scientifiques avait étouffé l'affaire :
      -Apportez-moi le disparu et je croirais à sa disparition. Pour l'instant, il n'existe pas!

        C'est ce genre de phrase qui fait qu'on devient Directeur, et plus encore, qu'on le reste.

        Mais aujourd'hui, c'était de ma nuit dont on essayait de s'emparer. L'implant logiciel de surveillance était formel.

        J'inventais à regret et en catastrophe une porte pour clore mon univers que j'aimais infini. L'improvisation brouillonne format une bien piètre cloison, tordue par des angles mal mesurés ; la clé ne fonctionnait même pas. D'ordinaire, je n'ai pas le rêve technique...
        Ne pas se réveiller, surtout ne pas quitter un rêve sans l'emporter avec soi ou le détruire était la précausion d'usage, mais là, je songeais avec terreur que je n'avais pas souscrit à la parade logicielle d'autodestruction et qu'il me faudrait entrer dans les hostilités sans arme automatique. Aujourd'hui, plus personne ne peut espérer dormir tranquille...

        La polémique sur l'usage des univers oniriques kidnappés restait complète : nos services de renseignements spéculaitent sur l'hypothèse bien alimentée d'un traffic et de reventes clandestines à des organisations terroristes totalitaires qui injecteraient nos paradis artificiels pour soumettre la population diurne. Le principe est simple : l'obeissance serait gratifiée d'un songe doux annoncé comme une avance sur le paradis céleste. Une preuve en quelque sorte, un morceau de félicité qui se méritait par un comportement de dévotion absolue. Chacun pouvait témoigner avoir vu et constaté la vérité de la promesse divine.

    Les leaders térroristes argumentaient speudo-scientifiquement :
      -Et encore, sachez que ce pré-paradis est une version atténuée du final : les vivants ne pourraient supporter sa vision transcendante supra-imaginaire.

       Supra-imaginaire...Le terme émanait dans sa naissance de l'Association des Rêveurs d'Elite. Moins d'un pourcent de la population est capable de générer des rêves compatibles avec l'idée qu'on se fait du paradis ou d'un paradis acceptable. Les autres ne rêvent pas plus haut que ce qu'il vivent. Mais ces surdoués oniriques se lassent de leur don qui les embarque dans une traque au songe épuisante. Des pathologies nouvelles apparaissent, plus personne n'achète de somnifères sauf les dormeurs de l'extrême par goût du risque et de la provocation. Les autres bouffent des emphétamines pour éloigner le sommeil espionné.

       Je savais que ma porte ne résisterait pas longtemps à l'agresseur parce qu'elle n'était pas assortie au reste du rêve et ne pourrait y puisser une résistance de cohésion. J'aurai bien aimé avoir des yeux à fermer dans l'artifice de dissimulation des enfants et pouvoir couper mon imagination comme on éteint la lumière, mais les paupières ne faisaient pas partie de mon paquetage nocturne habituel. Je concevais la décoration inutile : dans mes mondes, tout est bon à voir.
        Les rêves avaient leur temps : j'y attendais.

        Soudain, on sonna imprévisiblement à la porte!
        Le voleur s'annonçait poli :
      -Il y a quelqu'un?
      -?!?
      -Je vous en prie, ouvrez! Je voudrais juste passer un coup de fil, je n'en peux vraiment plus...

        J'ouvris d'une pensée. Ma naïveté était à l'évidence emportable d'un monde à l'autre.
    L'avatar qui affichait une image inconstante et évanescente s'écroula sur le palier imaginaire que je débarrassais de sa porte inutile d'une volonté. Pour la première fois, je voyais un rêveur épuisé et j'en fus fortément décontenencée :
      -Diable, qui vous a mis dans cet état?
      -Un pirate de rêves qui m'a dépouillé de tout jusqu'à ma dernière image. Je vais vraiment mal...
      -Ah? Je croyais à l'immortalité des rêveurs...
      -C'est vrai, en un sens. On s'est tous fait tuer un nombre incalculable de fois : on s'habitue, mais là, quelque chose n'a pas fonctionné normalement.
      -... Je comprends : le réveil! C'est ça, vous ne vous êtes pas réveillé.
      -Exactement! Je suis le paradoxe d'un rêveur sans rêve.

       Le problème était lourd. Le pauvre gars prennait mon monde de survie comme il était, le trouvant parfait malgré sa dégradation rapide du à ma négligence à m'en occuper. J'étais en principe hostile au partage des rêves et ne pratiquais pas cette singulière copropriété qui tournait énivitablement en querelle de décorations. Le choix d'une couleur ou d'une matière était réversible à l'infini ce qui n'était pas pour pacifier les ménages. Du coup, personne ne profitait jamais avec quiétude de son oeuvre.

      -A vous voir, j'en conclus que le vide est douloureux.
      -Mon compagnon est mort de désespoir et de fatigue. Passé un certain délai, j'ai l'impression que le sommeil devient mortel.
      -Il va falloir trouver le moyen de vous réveiller. Et en vitesse parce que mon compteur indique qu'il ne me reste plus qu'un cycle de sommeil à consommer.

       Pas assez pour lancer aux rêveurs d'élite d'à côté des invitations à venir cogiter sur le problème. En plus, je n'avais pas conçu les lieux pour recevoir et le personnalités intéressantes ne s'extrayaient pas facilement de leurs propres fabrications : les scientifiques causaient jusqu'à l'aube avec des chiffres incarnés de bonne fréquentation et les littéraires chatouillaient les bons mots sous tous les flancs. A côté, nos arguments étaient ténus et le désespoir nous gagnait dans mon rêve qui tournait au noir et blanc de débutant.
    Nous jugeames plus prudent d'élever des murailles bien qu'il fut peu probable que des voleurs nous fauchent un si piètre univers. Nestor, plus doué, se chargea du travail. Je réfléchissais :

     -Si je vous poignardais pour créer un choc de réveil...
     -Pas la peine : ça m'est arrivé trop souvent, je n'y crois plus. J'ai essayé de me pseudo-suicider de toutes les façons. Si les militaires pouvaient avoir des idées pareilles, ce serait la fin du monde sans grand délai.
    -Vous envoyer un cauchemar peut-être?
    -Lequel? J'ai domestiqué tous les dragons et les monstres me mangent dans la main.
    -Alors quoi?

       Il ronfla de désapointement :
    -Je crains que vous ne deviez m'abandonner ici comme un navigateur sur une île déserte.

       La perspective faillit me réveiller d'effroi, mais je me rattrapais de justesse. Au moins tiendrais-je compagnie au malheureux le plus longtemps possible...

       Soudain, une partie de la muraille disparut comme un plastique fin qui se consume, laissant un trou béant sans cicatrice. Trois hommes en traihi militaires planaient prétentieusement au-dessus de nous. Je jouais impromtument mon rôle de maîtresse de maison :
    -Ce rêve est propriété privée et il ne me semble pas vous y avoir invité. Sortez donc au plus vite!
    -Du calme, vous n'avez aucune raison de vous inquiéter...

       Nestor monta sans avertissement en agressivité :
      -Je reconnais leur présence spectrale malgré le changement d'apparence : ce sont eux qui ont piraté mon rêve...
      -Assertion perspicace : on vous a volé et vous imaginez bien qu'on n'est pas venu pour régler la facture...

       Je songeais que mon invité avait été suivi dans son périple jusqu'à moi et que je devrai affronter ces fripouilles. Mais je me trompais :

     -Nous vous le répétons : vous n'avez aucune raison de vous inquiéter. Vous avez vu la tronche de votre rêve? Vous nous le donneriez qu'on en voudrait pas.
     -Alors que faites-vous là?
     -On vient pour vous aider en quelque sorte...Vous êtes incapable de vous réveiller par les moyens ordinaires et si personne n'intervient, vous mourrez : le sommeil est complètement instable à long terme. Il donne sur le coma qui glisse vers la mort.
     -Et vous vous souciez de notre mort maintenant?
     -Pas du tout : on se soucie de votre vie, ou plutôt de votre vie onirique. Vous êtes des producteurs de rêves d'exception ; c'est vous qui nous armez de poudre de paradis. Ne soigneriez-vous pas votre meilleure vache à lait?
     -Bandits!

       Nestor restait étrangement serein : il était certain de ne pouvoir se réveiller et concevait avec désolation mon rôle de faiseuse de beaux rêves. Lui au moins serait délivré de cette complicité forcée.
      -Je crains pour vous qu'il n'y ait pas d'antidote à mon sommeil prolongé. Je suis immunisé des cauchemars et rien ne peut me pousser à rejeter ce sommeil.
      -Immunisé de vos cauchemars, peut-être...
      -J'ai croisé quelques productions de mes collègues : c'est du pareil au même. Une corne de plus ou de moins à un monstre ne change guère le spectacle.
      -Vous parlez de cauchemardeurs ordinaires...Moins d'un demi pourcent de la population est capable de générer des cauchemars d'exception capables de réveiller un nouveau mort. Pourquoi croyez-vous que vos gouvernements maintiennent des tueurs en série des années dans les couloirs de la mort si ce n'est pour leur rendre service? Ceux-ci produisent autant de mal dans leurs rêves que réveillés.On leur ponctionne leurs images de haine et de meurtre jusqu'au tarissement. Puis on réinjecte à d'autres : ça donne envie de mourir à certains et de vivre à d'autres. Il faut savoir doser, c'est tout un métier... Les humeurs du matin, les espoirs et les perspectives de chacun sont sous suggestion et croyez-moi, on a dans notre arsenal des horreurs à vous faire fuir de votre paresse atardée. Aussi surement que vous tendrez le genou si on vous tape le nerf avec un marteau...

       Nestor se ravisa :

     -Pas la peine : je crois que l'horreur de ce que vous venez de m'apprendre suffit à ce que je ne veuille pas en entendre plus et que je quitte le sommeil au plus vite. Pour quel extérieur, c'est une autre histoire...
     -Heureuse consolation pour vous : ça n'est pas votre histoire. Vous n'avez pas souscrit l'option sauvegarde automatique, hors de prix c'est vrai, et votre souvenir s'arrêtera à l'évaporation de votre sommeil. Je ne cache pas que ça nous arrange : les rêveurs naïfs sont les meilleurs d'entre tous.


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  • Marre :

    ·         1 : Monsieur Charles.

    ·         2 : Hector (le valet de Monsieur)

    ·         3 : Le serveur (Tavernier)


    1: Dépêchez-vous Hector !

    2: J'arrive Monsieur Charles, j'arrive.

    Hector suit Mr. Charles, deux valises à la main, exténué et en tout en sueur.

    1: Vous allez nous mettre en retard, Bernard n'aime pas attendre !

    2: Voilà Monsieur Charles, voilà !

    1: Manteau, canne, chapeau, siège !

    Hector prend un à un les objets et exécute en silence les ordres de Monsieur Charles. Il reste devant lui, debout.

    1: Tavernier ! Une vodka, une ! Nous avons cinq minutes, vous pouvez vous asseoir Hector.

    Hector tire une chaise et fait mine de s'asseoir à la table de Mr. Charles.

    1: Pas à ma table ! Voyons Hector un peu de tenue que diable !

    2: Pardon Mr. Charles, pardon ! Là, ça va ?

    1: Un peu plus loin encore Hector, vous empestez la sueur !

    2: Bien Mr. Charles.

    3: Voilà votre vodka Mr. Charles.

    1: Merci Tavernier !

    3: De rien, Mr. Charles, à votre service.

    Mr. Charles attrape son verre et boit d'un trait et avant même qu'Hector réagisse Mr. Charles reprend:

    1: Gorge rincée, une deuxième et plus vite que ça !

    3: A votre service Mr. Charles, comme si c'était fait.

    Hector lève timidement l'index et ose ...

    2: Tavernier pourrais-je vous demander un grand...

    1: Hector ! On ne vous a rien demandé, vous parlez lorsqu'on vous le demande, est-ce bien clair ?

    2: Oui Mr. Charles, c'est bien clair.

    1: Vous dépassez les limites, mais pour qui vous prenez-vous donc ? Vous êtes mon valet Hector, n'oubliez pas cela, vous êtes mon valet et je suis votre maître, est-ce bien clair.

    2: C'est bien clair Mr. Charles.

    3: Votre vodka Mr Charles.

    1: Merci Tavernier, ne partez pas servez-moi le dernier, rapidement, Bernard sera furieux si l'on arrive en retard ! Toute la faute repose sur vous Hector, votre insolence nous fait perdre des minutes précieuses. Je ne veux plus de cela désormais Hector. Votre attitude est irrecevable !

    2: Sans vouloir vous vexer Mr. Charles, je voulais simplement demander un grand ...

    1: Qui vous demande de parler, mais c'est un comble cela, une pure insubordination. Je vais finir par songer à vous remplacer Hector ! Vous atteignez des limites qu'il ne faut pas franchir, surtout venant de votre rang.

    3: Le dernier Mr. Charles !

    1: Merci Tavernier, prenez ceci et gardez tout.

    3: Oh Merci ! Mr. Charles est trop bon !

    Mr. Charles boit son verre.

    2: S'il l'était, il ..., il me laisserait finir mes phrases !

    Mr. Charles est pris d'une quinte de toux et reprend furieux :

    1: Vous avez prononcé votre dernière Hector ! La règle numéro une vient une fois de plus  être franchie.

    Il tousse encore :

    1: Vous êtes viré Hector, dès notre arrivée au château je signe votre congé et ne manquerai pas à entacher votre carnet de liaison. Considérez que votre carrière de serviteur s'achève dès aujourd'hui Hector. Vous êtes vraiment le plus pur représentant  d'une éducation raté, plutôt même d'une non-éducation tout simplement. Quand je pense que vous pouviez vous bonifier en me servant, mais non, vous préférez la folie de l'insoumission. Vous êtes un moins que rien.

    2: Rien, c'est le néant ! Et , moins que rien, c'est rien aussi ! Je ne devais pas être grand chose avant alors ?

    1: Vous finirez votre vie en geôle Hector !

    2: J'en ai marre de vos propos débiles et rien ne vous permet de me parler ainsi ! Vous vivez dans vos rôles, trop souvent perdu dans un passé révolu.

    2: J'en ai marre de porter des valises pleines, lourdes et totalement inutiles, des coulisses à la scène !

    2: J'en ai marre d'avoir froid sous ma chemise trop mouillée !

    2: J'en ai marre de servir une véritable outre à vin !

    2: Marre d'avoir soif alors que lui, il s'envoie des vodkas, allez-y voir, il pue l'alcool à dix kilomètres !

    2: J'en ai marre de cette poursuite qui m'éblouit depuis le début de ce prétendu spectacle !

    2: J'en ai marre d'avoir une foule entière, massée autour de moi, qui m'observe avec sourire et aucun ne me parle !

    2: J'en ai marre de jouer ce rôle minable de larbin quarante huit fois dans l'année, déclinant d'une façon médiocre des répliques à dix balles !

    2: J'en ai marre de ce métier à six sous, quand on en gagne, vingt sept francs trente une mauvaise représentation !

    2: J'en ai marre, marre, ...

    Hector s'en va, furieux :

    2: Marre, marre, j'en ai marre !

    Il quitte la scène.

     
    Fin.

    PS: Hector peut éventuellement revenir décliner ses "j'en ai marre" entre deux actes au cours du spectacle.
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