• Paradise

    Un air brûlant.
    Sec et exempt de toute poussière.
    Un soleil de plomb.
    Chaud et terrassant les ombres.
    Au loin, des champs de blé.
    Blonds, droits, prêts à éclater et à donner leur vie.
    Une route poudreuse.
    Dure et rocailleuse.
    Un arbre calciné.
    Creux et résistant.
    Là, un homme.

    Debout, seul au milieu de la canicule. Son regard se porte dans le lointain. Vers cet horizon où seul le blé s'étend. Il ne pense pas à la chaleur, il ne la sent pas. Il y a des mois entiers qu'elle fait partie de son corps. Il l'a accepté comme on accepte un virus. Pourtant il n'a jamais songé à la rejeter.

    Il marche sur ce chemin. Ses semelles s'y usent, lui chauffent la plante des pieds, lui entament les talons comme autant de coups de couteau. Il marche.
    Ses chaussures buttent sur les pierres, font crisser le gravier. Bruits isolés en ce lieu. Trois mois qu'il progresse ainsi. Trois mois que le soleil l'écrase. Trois mois que les blés sont mûrs.

    Encore une chose qu'il ne comprend pas. Comme ces gens qu'il rencontre chaque soir. Le soleil baisse, la chaleur tombe et peu avant le crépuscule il voit une maison isolée, ancienne souvent, et toujours d'aspect chaleureux. Une femme est assise devant la porte. Elle l'attend, semble-t-il. Machinalement, il se rapproche et à l'invitation de la femme, sans un mot, entre et s'assied à l'immense table, usée par le temps, dans la pièce commune. On lui offre un repas, toujours très copieux malgré l'apparence miséreuse des habitants. Silence de tous les convives. Parfois un enfant pose une question au voyageur, mais il n'y a jamais de réponse. Seuls les adultes obtiennent satisfaction quand, après ce qui peut paraître des heures, ils osent rompre l'étouffante absence de sons de voix. Et toujours le grand homme répond par l'affirmative ou la négative. Rien de plus.
    Il trouve alors un lit confectionné de paille, dans l'étable sans animaux, puis s'endort dans un sommeil sans rêves.
    Le matin il s'éveille, prend un croûton de pain sur la table et sort pour continuer sa marche. Des mois que cela dure. Immuable, sans répit, sans idée de l'avenir.

    Un soir, comme il approchait d'une de ces maisons, découverte derrière une butte minuscule, il alla, comme à son habitude, vers cette femme qui aurait bien pu être la même que celle de la veille ou encore de trois jours auparavant.
    Chose curieuse elle s'approche de lui alors qu'il n'est encore qu'à une cinquantaine de mètres de l'entrée. Il s'arrête intrigué.
    Quelques mètres les sépare. Il n'ose bouger. Il ne sait que faire. Les situations nouvelles ne font plus partie de ses mœurs. Dix secondes interminables sous le soleil crachant ses dernières flammes.
    " Bonjour Ton ", lance-t-elle.
    Effrayé par le son de la voix, il recule.
    Elle lui prend la main. Il s'en détache. Ses yeux fuit le regard opalin de la jeune femme. - Venez, on vous attend. Ce n'est pas le moment de nous mettre en retard, ajoute-t-elle en l'entraînant vers le bâtiment.
    Ahuri, les pieds battant la poussière, des milliers de questions lui assaillant l'esprit, Ton la suit maladroitement.
    Il passe le pas de la lourde porte de bois et sent sur lui comme des centaines d'yeux se tournant vers lui de concert. Des voix se taisent. La femme l'installe sur une chaise. Tous les volets sont clos.
    Assis au milieu de la sombre pièce, il n'ose toucher au repas posé sur la table. L'envie ne lui en manque pourtant pas. Des mets fabuleux s'alignent près de lui comme jamais il ne se rappelle en avoir vu.

    - Ne vous gênez pas, Ton, mangez. La journée a du être dure, il vous faudra des forces. " Ca oui, la journée fut dure, pense-t-il, mais pas autant que ce qu'il m'arrive. Et pourquoi me faudrait-t-il des forces ? "
    Les conciliabules reprennent peu à peu. Six, peut-être sept personnes, semblent être là, tapies dans l'ombre comme attendant leur tour d'intervenir.
    Finalement, quelqu'un vient vers lui, s'avançant dans la faible lueur des bougies. C'est un homme paraissant assez âgé, mais qui porte encore en lui toute la robustesse de ses trente ans. Pourtant, au fond de ses yeux on peut percevoir une histoire vieille de plusieurs siècles. Ton tremble face à lui.
    - Ne craignez rien, dit-il, d'une vois douce et monocorde, ici, il ne peut plus rien vous arriver.
    Dominant sa peur Ton lui demande :
    - Je pourrai repartir demain matin ?
    - Je ne m'attendais pas à entendre cela de votre part, rétorque le vieillard, mais tout dépendra de vous, on ne peut pas vous en empêcher. Pour l'instant vous allez m'écouter. Ton le fixe, prêt à tout.
    - Vous est-il jamais arrivé de vous demander dans quel but vous errez au travers de cette morne campagne, commence le vieil homme, ni même comment vous êtes arrivé dans ce pays ? - Depuis le temps que je marche je ne me pose plus trop de questions de ce genre, vous savez. J'en suis arrivé au point où la notion d'existence, de vie, de mort, de but me sont devenus totalement étrangers. Mon errance est devenue ma seule compagne.
    - Vous ne voudriez pas connaître une certaine liberté, avoir la possibilité de faire des choix, de connaître d'autres gens, d'autres horizons ?
    - Non. Je ne pourrai pas m'adapter à cette foule d'informations qui m'agresseraient sans cesse de tous bords, sans forcément en sentir leur signification ni même leur profondeur. - Nous sommes réunis ici pour vous apprendre à faire face à tout cela. Ecoutez bien. Et Ton appris en une seule nuit plus qu'il n'en savait sur lui-même, sur le pays qu'il traversait depuis des mois, sur les gens qu'il rencontrait chaque soir. Il sut qu'il était originaire d'une planète lointaine maintenant disparue, engloutie par un cataclysme naturel. Des savants de son époque l'avait envoyé vers une destination inconnue, avec quelques-uns de ces semblables, pour qu'il puisse découvrir un nouveau lieu de vie et que leur race s'y développe et y fonde une nouvelle société. Mais une faille, durant le voyage les avaient tous tués.
    - Ainsi donc, je suis mort et pourtant bien vivant parmi vous, dit-il sans être sûr de ce qu'il avançait.
    - Vous êtes mort pour votre univers, votre dimension, votre temps. Vous êtes ici, alors que cela est, normalement, totalement improbable.
    - Mais comment expliquez vous ma "petite promenade de santé" ?
    - Lorsque vous êtes arrivé, il y a eu une interférence puisqu'une partie de votre univers s'immisçait dans le notre. Tout de suite, nous avons réagi en vous isolant, de façon quasi stérile, comme sous une bulle. Ensuite, nous vous avons observé, pour être sûr que nous ne courrions aucun danger, en vous sondant entièrement de façon insensible et indolore pour vous. Je dois avouer que votre manque de réactions nous a un peu étonné, mais nous avons attribué cela au choc du transfert.
    - Une question me brûle les lèvres : êtes vous véritablement humanoïdes ?
    - Pas du tout. Nous prenons les apparences que vous voulez que l'on prenne par rapport à vos références de votre subconscient.
    - Mais... Pourrais-je vous voir tels que vous êtes réellement ?
    - Bien sûr, rien de plus simple.

    Ton courrait au travers de l'interminable champ de blé. Il lui semblait que cela faisait des heures qu'il essayait de fuir sa peur, son dégoût de la vision de ces êtres. Il voulait mourir dans l'instant. Pourtant, le vieillard lui avait dit que sa vie serait au moins trois fois plus longue que la normale, qu'il aurait tous les honneurs dus à quelqu'un de son rang, qu'il lui créerait des hommes synthétiques mais très réalistes pour que sa vie soit proche de celle qu'il aurait eue sur Terre.
    Mais une petite voix dans sa tête lui criait : Non, jamais !!...
    Il s'arrêta près d'un arbre, essoufflé, haïssant le destin de lui avoir donné une issue aussi ridicule.
    Il fallait en finir tout de suite.
    Alors qu'il se jetait de la plus haute branche du chêne, et que le sol se rapprochait à une vitesse fulgurante, il revit une dernière fois le vieillard se transformer en une énorme mouche gluante et lui disant : " En plus, nous savons que notre physionomie vous est familière, vous n'aurez pas de mal à vous adapter à notre entourage."





    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    1
    childar Profil de childar
    Lundi 3 Mars 2008 à 11:36
    EXCELLENT! GÉNIAL!
    Je ne m'y attendais pas du tout!
    Ça c'est une histoire comme je les aime.
    Bravo Foxxy!
    2
    Mercredi 2 Avril 2008 à 18:40
    En effet, on ne s'attend pas du tout à la chute. Excellent!
    Dommage que je ne t'ai pas connu avant le 1er avril, j'ai écumé à peu près toutes les blagues mais ces situations, je ne les connaissais pas. Cordialement à toi.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :