• Zalih :

    J'entends  soudain des pas lourds s'avancer vers l'entrée de la case. Une ombre allongée pénètre par la porte, imposante. Un homme la suit immédiatement. Ses proportions sont exemplaires, un véritable athlète se présente à moi. Son visage est calme, ses yeux d'un noir profond. Sa chevelure est portée comme les autres hommes que j'observais avant ce choc, pourtant, la bande centrale de son crâne rasé est teintée d'ocre. Il revêt un collier de pierres colorées aux reflets magnifiques. Tout ceci m'indique qu'il s'agit là d'une personne importante.

    Il me dévisage en silence, j'en fais de même. Ses bras sont décorés de tatouages rouges terminés par des bracelets de cuirs. Il ne semble pas porter d'armes, cela me rassure un peu. Il avance doucement et s'immobilise à deux pas environ de ma position assise. Il me fixe des yeux et prononce une courte phrase, qu'il répète sur différentes tonalités, sa mélopée est entrecoupée par d'autres mots prononcés, toujours aussi obscurs à mes sens. Je riposte dans ma langue de néandertalien que je ne comprends absolument rien à sa prose. Ma réaction le surprend et il est confronté au même problème qui me préoccupe, il ne saisit rien.

    Il recommence sa phrase aux vibrations chantantes et finit par se résoudre au silence, conscient de notre incompréhension réciproque. De l'index de ma main droite je pointe ma poitrine et prononce mon nom. Je désigne maintenant sa poitrine et il me répond par "Zalih". Je le souris, il en fait de même. Ce petit jeu est répété à plusieurs reprises. Il éclate d'un rire tonitruant, j'en fais autant, soulagé par l'attitude en apparence pacifiste de cet important personnage.

    Il s'accroupit lentement et laisse percevoir un léger sourire. Il lisse du revers de sa main le sol et dessine avec son pouce un relief, puis le début d'une plaine, il trace ensuite ce que je devine être un cours d'eau et positionne d'un petit cercle son campement. Ma main désigne la position approximative de ma tribu, juste aux pieds de la fin du massif montagneux. Mon doigt continue à avancer, à partir de l'emplacement de miens et symbolise d'un trait le mouvement que va suivre ma tribu. Il comprend aisément mon signe exécuté et m'indique, en utilisant la même méthode le mouvement des siens. Nos chemins divergent, notre rencontre aurait pu être évitée.

    Cet homme possède les traits des hommes de mon monde, ceux qui vivent beaucoup plus loin dans le futur. Il me parle à nouveau. Hélas je ne saisi toujours rien aux mots qu'il prononce. Continuant sa prose, il me délivre de mes liens. Toujours accroupie, il m'indique l'entrée de la case de son index tendu, prononce mon nom en me désignant à nouveau de la même main et dessine un trait sur le sol de la position de sa tribu à la mienne.

    Je suis libre.

    Je peux, si je le désire rejoindre les miens. Je l'observe longuement et déclare mon refus. Je ne veux pas retourner trop vite dans ma tribu, pas encore j'ai trop à apprendre à côtoyer les siens. C'est une chance absolument fantastique que de baigner dans ce contexte, que des générations et des générations de savants anthropologues vont tenter de découvrir, des dizaines de milliers d'années après. Non, je suis conscient de la mission qui m'attend mais je ne veux pas laisser passer cette chance. Je crois bien que pour la première fois, il a très bien compris le sens de mes mots.  Il m'invite à sortir de la case. J'acquiesce d'un signe de tête et engage le pas devant lui. A l'extérieur il me rejoint, il me sourit et prononça d'une voix soutenue une phrase courte qui rassembla aussitôt l'ensemble de la tribu.

    Il parla longuement me désignant souvent de sa main. Des questions fusent, les réponses du chef sont courtes et semblent convainquantes. Plus de question désormais. Zalih finit son monologue dans un rire contenu qui contamine immédiatement son public, sa tribu. Les sourires pleuvent, la tribu m'entoure, ils parlent tous à la fois, ils me palpent le visage, les mains. Seule la voix du chef de tribu freine cette ardeur collective.

    Il me saisit au bras et m'accompagne vers sa case, facilement identifiable. L'entrée en est barrée  d'une peau de bête très fine sur laquelle rayonnent des motifs colorés. Les décors qui ornent les piliers centraux  sont magnifiquement sculptés. Nous nous asseyons l'un face à l'autre sur des coussins de cuirs rouges. Des mets aux couleurs attirantes servis dans des bols de terre cuite reposent sur un tapis  doux et agréable.

    Il m'invite à prendre une sorte de galette  sèche et me tend un des bols. Ce que je mange est particulièrement fin. Ce peuple cultive l'art culinaire d'une façon divine. Le reste de notre repas est animé par un échange oral. Il prononce dans sa langue les objets que je désigne. Je répète et tente de mémoriser ce nouveau vocabulaire. Ce petit jeu éducatif va durer une bonne partie de la journée. 

    La soirée n'est pas plus calme. Elle se déroule au centre du campement, avec une partie de la tribu. Les danses exécutées avec frénésie se mélangent avec des rythmes rapides et variés.  Les sons aigus tirés par des flûtes  déferlent en vagues sonores rappelant  le chant d'oiseaux joyeux. Les ombres des danseurs, dessinées par le grand feu central, ajoutent  à la scène un côté irréel et magique. C'est beau et tellement naturel. Mon regard est arrêté par la beauté sculpturale d'une danseuse. Ses seins nus luisent sous la lumière rouge projetée par le feu, son pagne laisse entrevoir les formes  arrondies de ses hanches parfaites, la cambrure de son dos et son ventre rebondi.

    Se doutant bien de ma fatigue, le chef emboîte le pas vers une case, je le suis. C'est la mienne. Il me salut et me laisse seul. Mille images me traversent la tête. Ce peuple a su trouver l'équilibre parfait, un certain idéal, entre la rusticité de ma tribu et  l'univers technologique des hommes de mon lointain futur. Je m'endors, serein, calme et heureux.  Mes rêves se portent vers un spectacle de danse dans une ambiance rythmée par un mélange de sons et de mouvements. Je revois avec plaisir le corps mouvant de cette femme. Ses bras m'invitent à la rejoindre, son large sourire efface peu à peu ma timidité. Je bascule mes hanches, alternant des mouvements de jambes, elle me saisit aux mains et m'entraîne avec frénésie dans une tourbillonnante danse rythmée. Mes yeux sont attirés par les siens, magnifiques, d'un noir perçant. Ses cheveux dansent en vagues opposées aux mouvements de son corps. Son sourire m'enveloppe.

    Je me réveille en sueur, la respiration rapide. Il faut reconnaître que ce genre d'événement ne m'est pas arrivé depuis bien longtemps. De toute évidence, ce bond dans le passé a réveillé en moi des instincts refoulés et endormis.


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