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Blog de l'inutile et du savoir incertain

ISO

Moi l'innocent

Inutile de me demander ou  se passe cette action. Je ne saurais pas vous répondre.

Je suis là, victime et acteur d'une pièce mi-réelle mi-virtuelle.

Je suis sensé connaître mon rôle si toutefois j'en ai un.

Je marche à grands pas.

Il n'y a que le crissement en decrescendo du sable qui s'écoule sous mes bottes. Mes bottes, je n'y suis pas tout à fait habitué. Tant elles sont souples, étudiées, légères, avec leurs semelles articulées et dépourvues de talons.

Il me faudrait presque regarder mes jambes pour vérifier si je ne marche pas pieds nus. Quand j'ai trouvé ses vêtements dans l'alvéole d'Iro, je n'ai pas fait attention à la texture du tissu.

C'est après que j'ai été intrigué par cette matière solide, imperméable et pourtant poreuse, végétale bien qu'ayant l'apparence du métal. Y faire un trou est possible mais il disparaît dans les secondes qui suivent. Parce que, comme m'a expliqué Iro, le tissu est composé d'une espèce de lichens  microscopiques et vivants. Lichens qui se nourrissent de ma sueur, de mes cellules mortes. Je passe parfois une main sur mes flancs ou sur ma poitrine, content.

Heureux comme un enfant de l'aspect féerique de ma tenue. C'est bien peu de chose dans le monde des jardins. Je marche, bien que je ne sois pas tout à fait sûr d'avancer vraiment, de faire du chemin, peut-être à cause de l'étrangeté de cette pleine désertique.

Espace mal défini.

Plaine au sol poudreux, inégal, à l'air léger et stagnant. Plaine dépourvue de parfum, barrée par un massif rocheux dont la perspective immobile est couronnée de forêts brumeuses et incertaines. Plaine encadrée comme une vallée par d'immenses falaises aux surplombs démentiels.

Je ne regarde que le ciel.

J'ai renoncé depuis longtemps à y expliquer ses composantes. La lumière est vive, il fait chaud.

Je peux sentir les rayons caresser mon visage et mes bras nus. Aucun astre ne brille là-haut. Ou alors la voûte céleste toute entière est un soleil. Tout ceci est peu probable, pourtant ces grands arcs tordus qui s'entrecroisent comme des racines gigantesques me rappellent les rayons d'un soleil.

Iso :

Iso se matérialise parfois et m'accompagne en silence.

Parfois elle m'attend, planté sur un promontoire sablonneux.

Elle glisse à mes côtés, éthérée, avec les vagues floues de sa chevelure libre uniquement ornée d'un bandeau de perles bleues fluorescentes.

 Il faut avancer, si ce n'est dans l'espace, tout au moins dans le temps qui me sépare de ma rencontre avec les rêveurs.

Devant nous, la montagne ne change pas, mais les rares buissons, plaqués sur le sol comme des flaques épineuses, se multiplient et nous forcent parfois à changer de cap.

 Je pourrais sans doute les traverser mais je préfère m'en tenir à mon instinct qui me commande de les éviter, encore que l'instinct soit une assurance bien mince dans ce monde étrange. Les plantes pourtant, ont toujours été mes alliées.

Avant, quand j'étais un homme, éphémère parmi les siens, et maintenant dans ce monde, centre de leur règne paisible.

Iso observe son compagnon, l'innocent sourit. Depuis qu'il est revenu à la vie, de tous les concepts neufs qu'il a eu à assimiler, le plus évident - être un homme - a curieusement été le moins facile à concevoir. Les mondes parallèles, imbriqués comme les tranches d'un sandwich trop pressé, la découverte d'Iso, la conscience du monde et de la culture dont je suis issu, moi l'ex crétin ressuscité puis soigné par Iso, tout cela est plus admissible pour mon esprit neuf, que l'idée d'avoir fait partie de l'espèce humaine. Je ne suis plus un éphémère ceci est une certitude.

J'ai devant moi tant d'années à parcourir, tant de siècles à passer, que j'en arrive à en avoir le vertige et un certain malaise. Le malaise qui accompagne un rêve merveilleux lorsque l'on redoute de se réveiller. Je me sens si peu appartenir à l'humanité que j'en ai oublié mon nom d'homme.

Je suis désormais l'innocent. Brusquement, par un exercice mental lié à ma mémoire artificielle greffée dans mon cerveau réparé, je romps le fil de mes pensées, je fais le vide. Je rentre chez moi, dans l'alvéole et pose mes yeux sur la silhouette d'Iso, petit feu-follet fragile qui se découpe sur la masse sombre  de la montagne. J'avance, quelques mètres, inconscient de ma marche, tandis que mon corps lui n'accuse en rien mon absence momentanée. Iso, évocation reposante. Chaude, confortable, rassurante. Ma petite fée à qui je dois tant. Nous nous appartenons réciproquement.

A la voir, ainsi se rapprocher à chacun de mes pas accomplis, le contact mental s'intensifie, en de multiples caresses de nos âmes, dans un fondamental dialogue qui s'est instauré entre nous. Nos échangent projettent hors de nos mémoires des souvenirs voluptueux. Depuis le début, j'ai considéré Iso comme une femme. La femme, sur le plan dimensionnel différent, mais complète. Troublante est cette télépathie qui sert le plus couramment de langage entre nous. Et je n'ai pas envi de me fermer à Iso. Un rire comme des clochettes cristallines tinte dans ma tête, tendre réponse à mon interrogation.


 

 

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L
De même. Petit morceau superbe et féérique (et l'idée des chaussures en lichen, excellente !).Une autre vue d'un autre monde, j'apprécie énormément...
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C
J'ADORE!!!Et je suis incapable de dire pourquoi.Ça arrive des fois...
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