Dans un silence absolu, de gigantesques panaches fusent vers le ciel noir puis retombent en averses de neige. Au creux des caldeiras, bouillonnent des lacs de lave. De longs fleuves de magma sillonnent les plaines. Ils changent de couleur et de vitesse au gré des circonstances. De sulfureuses nappes phréatiques migrent le long des fractures, remontent à la surface, rongent les hauts plateaux et se transforment en geysers au contact des roches en fusion. De temps en temps, une falaise s'effondre sous son propre poids. Ou bien une montagne bascule et s'enfonce dans le sous-sol. Etranges phénomènes qui ont existé ailleurs, en d'autres temps, dans le reste du système solaire. Et que l'on peut observer aujourd'hui encore, en direct, dans un fantastique décor dominé par Jupiter la planète géante. Io n'est pas seulement une lune. C'est aussi une machine à remonter le temps.
Découverte par Galilée en 1610, Io resta longtemps un point lumineux que la proximité de Jupiter rendait difficile à étudier. On calcula sa période de révolution autour de la planète géante (42 heures), et on constata que sa taille, sa densité (3,5), sa composition rocheuse et son absence de glaces la rendaient apparemment proche de notre Lune. Rien de bien extraordinaire.
Mais lorsque la sonde Voyager 1 entreprit, en mars 1979, d'étudier les satellites de Jupiter et envoya les premières images haute définition de Io, celle-ci devint immédiatement l'attraction principale. Cette petite lune montrait en effet sur les photographies prises au téléobjectif une fascinante palette de couleurs jaunes et oranges, avec de curieux cercles rouges, de longs serpentins verts ou bruns, des croissants bleuâtres, des plaques blanches et une multitude de petites taches rondes et noires. Ces dernières ressemblaient à ces innombrables cratères qui témoignent de l'intense bombardement d'astéroïdes auxquels ont été soumis tous les astres du système solaire il y a 4 milliards d'années.
Les taches noires ? Des caldeiras, ces dépressions qui se forment au sommet d'un volcan après une éruption. Les anneaux rouges, les traînées vertes, brunes ou grises, les zones blanches ? Des coulées de lave et des dépôts de givre, colorés par du soufre évacué puis refroidi à différentes températures. Les ombrelles ? Des jets d'oxyde de soufre (et non de cendres comme sur la Terre) pouvant atteindre une vitesse d'évacuation de 1000 mètres par seconde (3 fois la vitesse du son) et monter jusqu'à 200, 350, 500 km d'altitude. Une atmosphère extrêmement tenue, une très faible gravité et la nullité des vents permettent à ces colossales colonnes de gaz qui jaillissent des évents, de suivre une trajectoire balistique et de se déployer en gracieuses fontaines symétriques.
La plus grande de ces fontaines éruptives découverte par Voyager 1, avait 1000 km de diamètre. Elle reçu le nom de Pelé, la déesse hawaiienne des volcans. Furent également baptisés Loki (210 km de diamètre), Promethée (250 km), Amirani (200 km) Masubi (150 km). Vingt ans après le passage des sondes Voyager ces volcans étaient toujours actifs.
Les télescopes terrestres dans les années quatre-vingt puis la mission Galileo entre 1995 et 2002 ont exploré de loin puis, de plus en plus près, ce sulfureux petit satellite. Ils ont recensé 200 caldeiras de plus de 20 km de diamètre, une centaine de volcans en activité et d'innombrables points chauds. La sonde Galileo a notamment découvert et photographié, de monstrueux rideaux de laves en fusion, longs de 30 km, hauts de 1500 mètres. Pourquoi, une lune aussi petite qui, théoriquement, devrait être froide depuis longtemps à l'instar de notre Lune, est-elle un corps en fusion produisant 100 fois plus de laves que la Terre ?
Les paysages sur Io
La surface de Io présente une grande variété de terrains. Les caractéristiques marquantes sont des dépressions irrégulières qui correspondent aux caldeiras des volcans (patera), des éminences (tholus), des vastes zones caractérisées par un albédo clair ou sombre (regio), de hauts plateaux (planum), des montagnes (mons) et des chaînes de cratères (catena). Rien à voir avec les autres lunes de Jupiter où dominent les cratères (comme sur Callisto), les rayures, les rides et les cannelures (comme sur Europe et Ganymède).
Nombreux sont les traits qui témoignent des tensions marémotrices et de l'évacuation de la chaleur qu'elles génèrent : boucliers volcaniques en pente douce semblables à nos volcans hawaiiens, coulées serpentant sur plusieurs centaines de kilomètres, gigantesques anneaux de dépôts, lacs de soufre fondu, caldeiras effondrées, interminables plaines de laves...
Seules les montagnes, hautes de plusieurs kilomètres, ne semblent être liées, du moins directement, à ce monstrueux volcanisme. Ce sont d'immenses blocs basculés, manifestement formés lorsque la croûte se casse et s'enfonce sous son propre poids. Le résultat, en quelque sorte, d'une tectonique verticale.
Le remodelage de la surface est tel que les cratères, si nombreux ailleurs, n'existent pas sur Io. Ils ont été effacés, gommés, sous les retombées pyroclastiques et les flots de lave qui surgissent des noirs évents. On a calculé que si une couche moyenne de 3 millimètres recouvrait chaque année Io, il ne faudrait que 10 millions d'années pour que se constitue une croûte de 30 km d'épaisseur. Si ces estimations sont justes, la croûte de Io aurait été renouvelée 500 fois depuis la formation de Io, il y a 4,4 milliards d'années.
Une chimie du soufre
Le soufre et ses composés donnent à ces paysages des couleurs bariolées. La région de Culan Patera (ci-dessous) constitue un splendide exemple de cette palette contrastée où dominent le jaune, le vert et le rouge. Les teintes changeantes des coulées de lave reflètent, en partie, les états chimiques du soufre qui change selon la température à laquelle il est chauffé ou refroidi.
Le soufre possède en effet d'étonnantes propriétés. A sa température de fusion, 113°, il est jaune. A 150°, il devient orange. A 180°,il vire au rouge. A 250° et plus, il revêt une couleur brun-noir.
Autre caractéristique du soufre : il conserve sa couleur de fonte s'il est brusquement refroidi. Ainsi une petite coulé de soufre jaillissant à plus de 250° sera d'une belle couleur chocolat et le restera si la température ambiante (- 150°) la refroidit brutalement. Mais si elle est épaisse, et se refroidie lentement, elle tournera au rouge ou à l'orange.
Le soufre présente une autre singularité. Sa viscosité évolue au gré de la chaleur. A plus de 250°, il est très fluide. Au fur et à mesure que sa température baisse, il devient de plus en plus visqueux. A 200° il est rouge et pâteux. Mais il redevient fluide à 150° alors qu'il est orange. Et il se fige à 120° lorsqu'il est jaune.
Un des mondes les plus étonnants de notre système solaire, et constante refonte, si j'ose dire. Merci, grâce à tes articles, je revois mes connaissances.Bisous big