• Les mots, les histoires

    Ici une collection de mes écrits sur des thèmes variés.


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  • La lettre

    Cela faisait 280 années que nous combattions un ennemi inconnu. Dans la vaste mécanique militaire, nous étions deux pièces usées qui, une fois remises à neuf, devaient retrouver leur position en première ligne. Linn était tout ce qui me restait de mon passé, tout ceux que j’avais quitté étaient morts depuis bien longtemps. Les sauts dans l’espace et le temps nous avaient rendus solitaire. Au seuil de l’inconnu,  nous voulions épuiser en quelques semaines tous les plaisirs de la vie. Mais le plus grand des plaisirs, c’était de passer ensemble nos derniers jours de liberté. Rien n’aurait pu nous plaire davantage. Rien ne pouvait nous atteindre sauf une affectation dans des bases et contingents différents. Je fus affecté sur le polar gate et Linn sur le croiseur Xoor.  Nous étions tous deux effondrés par cette funeste nouvelle. Nous avons demandé audience auprès du Master chief.

         - Je veux faire modifier nos affectations ! Je désire disposer du capitaine Linn Marson comme second. Nous combattons ensemble depuis le début.

         - Votre effectif est déjà complet Major fox.

         - Comprenez ce que cela signifie pour nous ! Même si nous survivons tous les deux, les transferts spatiaux vont créer une faille temporelle entre nous.

         - Lorsque le major fox reviendra, l’autre sera peut-être mort depuis des lustres, reprit Linn.

         - L’armée établit son programme en terme de siècles, pas en terme d’individu.

    Linn partirait la première. Il nous restait un jour et une nuit. Puis ce sera la solitude interminable. Nous perdions tous les deux beaucoup plus qu’un compagnon car nous restions l’un pour l’autre le seul lien nous rattachant au passé,  à cette bonne vieille terre du 21ième siècle, monde disparu où notre jeunesse était morte. A sa place, l’univers pervers, grotesque et primaire où nous nous débattions pour survivre dans cette lutte stupide.

    Le départ de la navette de Linn se fit dans un long vrombissement triste comme le bruit du cercueil descendu dans sa tombe. Etincelante, une nouvelle étoile apparue à l’est quelques heures avant le lever du soleil… le vaisseau de Linn. Sa luminosité s’estompait  au fur et à mesure qu’il s’éloignait  pour n’être qu’un point brillant, simple étoile parmi les étoiles. Linn oh Linn, que vais-je devenir sans toi !

    Assis au pied de cette falaise où nous venions jadis observer le jour se lever, j’entendais le bruit des vagues deux cents mètres plus bas. Il était tentant de sauter, je jouais avec cette idée jusqu’au lever du soleil. Mais ce fut seulement une idée. Pourtant je ne craignais pas la souffrance fugitive et je n’avais plus rien à perdre. Presque tout ce qui était moi appartenait désormais à l’armée. Mais sauter, c’eut été reconnaitre ma totale allégeance, ma défaite. L’armée régissait ma vie, je n’allais pas lui offrir ma mort, elle ne méritait pas cette victoire.

    Je suis parti rejoindre mon contingent. J’ai mené bataille contre cet ennemi. Durant le décollage qui clôturait notre mission, je me dis que nous avions une fois de plus perdu notre base en massacrant un grand nombre de créatures dont nous ignorions presque tout. L’éclaireur nous conduisit à la navette de sauvetage placée en orbite. Un vrai plaisir de pouvoir quitter sa tenue spatiale et de respirer un air qui ne sentait pas le fox recyclé. Toute une flotte gravitait autour du Star mother ship lorsque nous arrivâmes 350 ans plus tard. Nous avons été accueillis en véritables héros et c’est là que nous avons appris que la guerre était finie depuis 221 ans. Tout ceci correspondait à l’année 3177. Notre contingent était le dernier attendu. Après notre départ, Star mother ship serait détruite. Elle n’a été maintenue en activité que pour assurer le retour et la démobilisation des troupes.

    Il y a des planètes très accueillantes pour les vétérans de mon espèce. J’ai choisi paradis, troisième satellite de Mizar. Avant de partir, on me donna mes dossiers personnels. Ils étaient bien plus épais que les autres. Je venais de beaucoup plus loin dans le passé et Linn hantait toujours mon présent. Un feuillet jaune avait été agrafé à la première page du dossier. Je ne pouvais pas le rater. Cette lettre avait été écrite 280 années plus tôt et j’en reconnaissais l’écriture de Linn, même après tout ce temps.

    Star mother ship, 21 juin 2889.

    Fox, tout est dans ton dossier personnel et je sais que tu es capable de le balancer sans l’ouvrir . Aussi je tente une chance supplémentaire. J’espère au moins que tu liras ce mot. Tu le vois j’ai survécu. Peut-être as-tu eu aussi ce bonheur. Rejoins-moi, je pars pour cette planète qui porte le nom de paradis, troisième satellite de Mizar. Avec cinq vétérans, nous avons acheté un vieux croiseur. Il nous sert de machine temporelle. Nous plongeons jusqu’à cinq années lumière de paradis et nous revenons. Tous les dix ans je vieillis d’environ un mois. Si tu reviens sans problème de ta dernière mission, je devrais avoir trente six ans à ton arrivée. Dépêche-toi !!

    Peu m’importe que tu aies trente six ans ou quatre vingt onze. Si je ne peux être ta femme, je serai ton infirmière.

    Linn

     

    Chronique du Daily Paradise, gazette du nord-est de Paradis.

    Rubriques des naissances : Le capitaine Linn Marson et le major Fox Dexter ont le plaisir de vous annoncer la naissance de leur enfant Tom Dexter-Marson né sur paradis le 17 Septembre 3180. Toute la rédaction souhaite longue vie à cet enfant.

    Fin de communication.

     


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  • Formica-zinc ou la philosophie de comptoir


    -         Un : Et dire que 328 Milliards d'insectes en tout genre peuplent notre vieille terre,...,  on est vraiment rien nous les humains !

    -          Deux : et bin moi j'habite la barre quatre du quartier de la fauvette, et tu sais toi combien d'âmes y vivent dans la barre quatre ?

    -          Un : Heu, non, je ne sais  pas, 150 peut-être ?

    -          Deux : Tu rigoles, 150 c'est minable, comme à la barre 7, non sérieusement, tu sais pas  ?

    -          Un : Non, je ne vois pas !

    -          Deux : 658 pèlerins, alors, ça t'en bouche un coin ce chiffre-là !

    -          Un : Pas mal du tout, ..., et dire que nous baignons dans une galaxie qui contient 128 Milliards d'étoiles, petites et grandes sœurs de notre soleil, ah on peut le dire, nous ne sommes rien dans cet univers, ...

    -           Deux : Ca tu peux le dire, Roger il a gagné 120 Millions à la loterie nationale, tu sais, les billets avec la ronde des étoiles d'or sur un fond bleu, et moi avec mes 5000 patates par mois, je pleure et je trime comme un couillon. On est vraiment rien, t'as raison mon gars, on s'en jette un autre ?

    -          Un : Pas de refus. Et Lucien tu remets ça c'te'plait. Et dire qu'un humain sur 12 mange à sa faim tous les jours, ahhh notre espèce ne représente vraiment rien et nos faiblesses sont si grandes face à la nature qui n'attend pas qu'on la nourrisse...

    -          Deux : Putain Roger lui, depuis qu'il a reçu son magot, il nous cause pu, surtout à moi d'ailleurs, il doit bouffer comme un cochon le porc ! C'est sur, lui il est dans les 1 et moi je cohabite avec les 12. Steak  haché deux fois par semaine, je prends du haché à cause de mes dents. Roger lui, il va aller vivre à Nouyorque, et moi je reste dans la barre 4. Et t'en connaît d'autres toi des chiffres catastrophe ?

    -          Un : Oh oui, même des qui décoiffent, tiens par exemple, tu sais toi combien il y a de météorites qui tombent sur terre tous les jours, merci Lucien?

    -          Deux : Non, ..., heu une dizaine, j'sais pas moi !

    -          Il pleut des météorites sur terre, à raison d'une toutes les 30 secondes environ. Cela fait très exactement 2880 objets grands ou petit qui pénètrent dans les hautes couches atmosphériques. On est vraiment rien, à tout moment un objet tombe et vous écrase, et paf, c'est fini la vie, alors riche ou pauvre tu sais !

    -          Deux : Il n'y a pas que les météorites qui pleuvent, y-a les facture aussi, tiens, ce matin l'électricité et le téléphone, hier, c'était le remboursement du prêt de la voiture et de la télé, en tir groupé, et demain, c'est le 12 et ce sera le gaz et la cotisation pour l'association. Pauvre de nous, Roger lui, y s'inquiète plus, le pognon il en a plein les fouilles le blaireau, moi, c'est les agios de la putain de banque que je paye tous les mois, oui, pauvre de moi, je n'ai vraiment pas de chance !

    -          Un : Tu sais que tu as trois fois plus de chance ou plutôt de malchance d'avoir un accident de la route sur le trajet de ton travail à ton domicile et cela par rapport à un tout autre itinéraire. De plus, ce type d'accident touche un conducteur sur trois, on est vraiment rien sur terre !

    -          Deux : Roger lui il vient de se payer une Maseratti rouge, avec douze cylindres en étoile et un turbo qui pète le feu. Moi, c'est le feu qui a brûlé ma bagnole, la Durit d'essence percée sur le moteur chaud, ça rigole pas et ça flambe bien vite. En plus c'est vrai, j'arrivais au boulot. Et ma R25 d'occasion à 45000 F. La folie dans tout ça c'est que je paye le prêt d'une voiture qui a fini sa vie en cube. Ca, t'as raison, on est vraiment rien, surtout moi !

    -          Un : Non, non pas toi. Chaque personne enferme un tas de trésor, tiens prenons un exemple positif, sais-tu qu'un seul de nos orgasmes produit une quantité suffisante de spermatozoïdes pour repeupler théoriquement le tiers de la population humaine. Imagine, en trois coups bien utilisés et tu refais le monde !

    -          Deux : Et bin moi la Ginette, ça fait des lustres qu'on se reproduit plus. La dernière fois, c'était après le bal du 14 juillet, depuis niet, rien, le néant. En plus, elle n'en a qu'après son Roger, et Roger par-ci et Roger par-là. Tu devrais faire comme Roger, Roger lui au moins. Ce goret de Roger ne l'intéresse que depuis qu'il a du pognon, tu comprends ça toi. Allez Lucien, encore  une s'te'plait. T'as raison, même quand c'est positif, c'est négatif, j'suis un looser, voilà tout !

    -          Un : Mais toi, tu es un homme libre, tu peux en profiter pour refaire des projets et les réaliser. Tu sais un entrepreneur sur 4 réussi son challenge, en plus tu pourras rencontrer des gens bien, et peut-être même quelqu'un qui t'aime à toi et pour toi seulement !

    -          Deux : Mon challenge est réussi, j'suis au café, je vois du beau monde, j'bois des demis et puis les femmes, faut pu m'en parler, je préfère ma chienne pépette. Elle au moins elle est câline ma douce. Allez, j'y vais, je rentre voir l'autre et son Roger. Et, prends ton parapluie pour éviter les météroïtes, salut vieux ! Tu viens pépette !

    L'acteur Un sort de la scène, lentement.

    -          Un : Lucien, le dernier. Qu'est ce qu'il ne faut pas entendre ! Et dire que le son se déplace à plus de 1000 Km/h ! Nous sommes si nombreux et nous ne nous parlons pas, ha pour les discours politiques démagogiques et les publicités dans les grands magasins, l'âge d'or de la communication avec trois mois d'essais d'abonnement gratuit au nouveau portail d'accès Internet, et on n'ose pas dire bonjour à son voisin dont on ne connaît même pas la forme du visage. On est vraiment pas grand chose, pauvres humains !


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  • Manipulation cosmique. 

    C'était une époque de chaos total. La galaxie n'était qu'un cortège d'étoiles disruptées et de planètes perdues, ruinées. L'humanité qui s'était répandu jusqu'au confins des mondes de notre voie lactée n'avait aujourd'hui pour seul dessein que sa propre destruction.

    Korg d'Antarès avait été enrôlé pour se battre comme simple fantassin des forces spéciales d'intervention.
     

    Il n'aimait pas la guerre.
    Il n'aimait pas les massacres que l'armée d'Antarès glorifiait tant.
    Il ne voulait tuer personne.
     
    Mais il avait été enrôlé dans la section P130.
    Il devait le faire par décret, par obligation aussi.

    Le formateurs lui avaient dit qu'il passerait l'essentiel de sa vie de fantassin dans des simulateurs et qu'il avait que très peu de chance d'arriver un jour sur un vrai théâtre de combat. Cela le rassurait un peu.
     Les simulateurs étaient gérés par des super Compuservers qui pouvaient créer des illusions parfaites, d'un réalisme à vous couper le souffle. Il suffisait pour cela que le cerveau d'un homme soit directement relié aux machines pour qu'il plonge complètement dans ces mondes virtuels de chimères numériques.
     

    Des nano-implants avaient été injectés dans le cerveau de Korg. Il suffisait d'activer la liaison HM (Human-Machine) pour le plonger directement dans le monde virtuel où il allait se battre.

    Il avait mal au crane au début, mais les figther Medics l'avaient prévenu, alors il ne s'inquiétait pas; bientôt les maux de tête s'estompèrent.

    Alors son entraînement commença. Il était donc fantassin des forces spéciales d'intervention. Il combattait au corps à corps, en scaphandre. Les mondes du simulateur étaient saisissants de réalisme.
     Korg courait sur des planètes sombres et glacées, souvent dépourvues d'atmosphère et de vies. Il courait, au milieu des hommes de son bataillon, sautant ça et là de collines en collines sur des astéroïdes à la faible gravité, nageant dans des lacs de gaz sur des planètes mortes. Korg tuait souvent dans ces mondes, les rayons rouges projetés par son arme découpaient ses adversaires en morceaux qui tombaient sur le sol, gelés en quelques secondes. Lui aussi mourrait parfois. Cela arriva souvent au début; soudain exposé par un mouvement irréfléchi, il voyait l'univers se résumer brutalement à un flash rouge. Puis tout devenait noir et le simulateur lui expliquait dans le détail et d'une voix froide, reptilienne quelle erreur avait été commise.  

    Le temps passa, il en commettait de moins en moins et sa préparation était de plus en plus complexe. A présent, même les voyages spatiaux étaient simulés. Korg se voyait en sortant du ventre des croiseurs de débarquement, courant pour se mettre à l'abri. Il participait ici à des assauts sur des bases planétaires occupées par l'ennemi inconnu.
     Korg était devenu comme les autres fantassins des forces spéciales d'intervention. Il lançait des grenades plasma qui déchiquetaient des bâtiments blindés, arrosant ses adversaires de rayons rouges, superbes et mortels. 

    Ainsi Korg avait accepté la guerre. Parfois il se demandait si les figther Medics n'avaient pas réussi à faire de lui ce qu'ils voulaient. Mais ces mondes étaient virtuels. Il ne tuait personne et ne risquait pas de mourir. La perfection de ces mondes dans lesquels il évoluait le fascinait maintenant. Son existence de soldat ne cessait de l'émerveiller. Il en avait parlé à de nombreuses reprises avec les figther Medics, responsables des simulations.

    Korg leur avait demandé si les mondes virtuels étaient totalement semblables au monde réel, si on pouvait faire la différence. Les figther Medics avaient souri, et l'un d'eux lui avait dit que la différence était totale. Un autre avait d'ailleurs ajouté en plaisantant que la seule différence était sans doute qu'à part l'homme, aucune forme de vie n'était simulée.
     

    Un jour pourtant, alors qu'il venait de tuer encore un de ses adversaires virtuels, Korg comprit comment ils avaient fait de lui ce qu'ils voulaient. A travers la visière de l'homme qu'il venait de tuer, il vit un coccinelle.
     
    Dans ce monde sans animaux et sans insectes ... une coccinelle cherchait son chemin sur le visage d'une dépouille mortelle. 

    Et pour la dernière fois, Korg leva sa main qui tenait son arme destructrice ... L'univers se réduisit à un flash rouge.


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  • ISO

    Moi l'innocent

    Inutile de me demander ou  se passe cette action. Je ne saurais pas vous répondre.

    Je suis là, victime et acteur d'une pièce mi-réelle mi-virtuelle.

    Je suis sensé connaître mon rôle si toutefois j'en ai un.

    Je marche à grands pas.

    Il n'y a que le crissement en decrescendo du sable qui s'écoule sous mes bottes. Mes bottes, je n'y suis pas tout à fait habitué. Tant elles sont souples, étudiées, légères, avec leurs semelles articulées et dépourvues de talons.

    Il me faudrait presque regarder mes jambes pour vérifier si je ne marche pas pieds nus. Quand j'ai trouvé ses vêtements dans l'alvéole d'Iro, je n'ai pas fait attention à la texture du tissu.

    C'est après que j'ai été intrigué par cette matière solide, imperméable et pourtant poreuse, végétale bien qu'ayant l'apparence du métal. Y faire un trou est possible mais il disparaît dans les secondes qui suivent. Parce que, comme m'a expliqué Iro, le tissu est composé d'une espèce de lichens  microscopiques et vivants. Lichens qui se nourrissent de ma sueur, de mes cellules mortes. Je passe parfois une main sur mes flancs ou sur ma poitrine, content.

    Heureux comme un enfant de l'aspect féerique de ma tenue. C'est bien peu de chose dans le monde des jardins. Je marche, bien que je ne sois pas tout à fait sûr d'avancer vraiment, de faire du chemin, peut-être à cause de l'étrangeté de cette pleine désertique.

    Espace mal défini.

    Plaine au sol poudreux, inégal, à l'air léger et stagnant. Plaine dépourvue de parfum, barrée par un massif rocheux dont la perspective immobile est couronnée de forêts brumeuses et incertaines. Plaine encadrée comme une vallée par d'immenses falaises aux surplombs démentiels.

    Je ne regarde que le ciel.

    J'ai renoncé depuis longtemps à y expliquer ses composantes. La lumière est vive, il fait chaud.

    Je peux sentir les rayons caresser mon visage et mes bras nus. Aucun astre ne brille là-haut. Ou alors la voûte céleste toute entière est un soleil. Tout ceci est peu probable, pourtant ces grands arcs tordus qui s'entrecroisent comme des racines gigantesques me rappellent les rayons d'un soleil.

    Iso :

    Iso se matérialise parfois et m'accompagne en silence.

    Parfois elle m'attend, planté sur un promontoire sablonneux.

    Elle glisse à mes côtés, éthérée, avec les vagues floues de sa chevelure libre uniquement ornée d'un bandeau de perles bleues fluorescentes.

     Il faut avancer, si ce n'est dans l'espace, tout au moins dans le temps qui me sépare de ma rencontre avec les rêveurs.

    Devant nous, la montagne ne change pas, mais les rares buissons, plaqués sur le sol comme des flaques épineuses, se multiplient et nous forcent parfois à changer de cap.

     Je pourrais sans doute les traverser mais je préfère m'en tenir à mon instinct qui me commande de les éviter, encore que l'instinct soit une assurance bien mince dans ce monde étrange. Les plantes pourtant, ont toujours été mes alliées.

    Avant, quand j'étais un homme, éphémère parmi les siens, et maintenant dans ce monde, centre de leur règne paisible.

    Iso observe son compagnon, l'innocent sourit. Depuis qu'il est revenu à la vie, de tous les concepts neufs qu'il a eu à assimiler, le plus évident - être un homme - a curieusement été le moins facile à concevoir. Les mondes parallèles, imbriqués comme les tranches d'un sandwich trop pressé, la découverte d'Iso, la conscience du monde et de la culture dont je suis issu, moi l'ex crétin ressuscité puis soigné par Iso, tout cela est plus admissible pour mon esprit neuf, que l'idée d'avoir fait partie de l'espèce humaine. Je ne suis plus un éphémère ceci est une certitude.

    J'ai devant moi tant d'années à parcourir, tant de siècles à passer, que j'en arrive à en avoir le vertige et un certain malaise. Le malaise qui accompagne un rêve merveilleux lorsque l'on redoute de se réveiller. Je me sens si peu appartenir à l'humanité que j'en ai oublié mon nom d'homme.

    Je suis désormais l'innocent. Brusquement, par un exercice mental lié à ma mémoire artificielle greffée dans mon cerveau réparé, je romps le fil de mes pensées, je fais le vide. Je rentre chez moi, dans l'alvéole et pose mes yeux sur la silhouette d'Iso, petit feu-follet fragile qui se découpe sur la masse sombre  de la montagne. J'avance, quelques mètres, inconscient de ma marche, tandis que mon corps lui n'accuse en rien mon absence momentanée. Iso, évocation reposante. Chaude, confortable, rassurante. Ma petite fée à qui je dois tant. Nous nous appartenons réciproquement.

    A la voir, ainsi se rapprocher à chacun de mes pas accomplis, le contact mental s'intensifie, en de multiples caresses de nos âmes, dans un fondamental dialogue qui s'est instauré entre nous. Nos échangent projettent hors de nos mémoires des souvenirs voluptueux. Depuis le début, j'ai considéré Iso comme une femme. La femme, sur le plan dimensionnel différent, mais complète. Troublante est cette télépathie qui sert le plus couramment de langage entre nous. Et je n'ai pas envi de me fermer à Iso. Un rire comme des clochettes cristallines tinte dans ma tête, tendre réponse à mon interrogation.


     

     


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  • Un air brûlant.
    Sec et exempt de toute poussière.
    Un soleil de plomb.
    Chaud et terrassant les ombres.
    Au loin, des champs de blé.
    Blonds, droits, prêts à éclater et à donner leur vie.
    Une route poudreuse.
    Dure et rocailleuse.
    Un arbre calciné.
    Creux et résistant.
    Là, un homme.

    Debout, seul au milieu de la canicule. Son regard se porte dans le lointain. Vers cet horizon où seul le blé s'étend. Il ne pense pas à la chaleur, il ne la sent pas. Il y a des mois entiers qu'elle fait partie de son corps. Il l'a accepté comme on accepte un virus. Pourtant il n'a jamais songé à la rejeter.

    Il marche sur ce chemin. Ses semelles s'y usent, lui chauffent la plante des pieds, lui entament les talons comme autant de coups de couteau. Il marche.
    Ses chaussures buttent sur les pierres, font crisser le gravier. Bruits isolés en ce lieu. Trois mois qu'il progresse ainsi. Trois mois que le soleil l'écrase. Trois mois que les blés sont mûrs.

    Encore une chose qu'il ne comprend pas. Comme ces gens qu'il rencontre chaque soir. Le soleil baisse, la chaleur tombe et peu avant le crépuscule il voit une maison isolée, ancienne souvent, et toujours d'aspect chaleureux. Une femme est assise devant la porte. Elle l'attend, semble-t-il. Machinalement, il se rapproche et à l'invitation de la femme, sans un mot, entre et s'assied à l'immense table, usée par le temps, dans la pièce commune. On lui offre un repas, toujours très copieux malgré l'apparence miséreuse des habitants. Silence de tous les convives. Parfois un enfant pose une question au voyageur, mais il n'y a jamais de réponse. Seuls les adultes obtiennent satisfaction quand, après ce qui peut paraître des heures, ils osent rompre l'étouffante absence de sons de voix. Et toujours le grand homme répond par l'affirmative ou la négative. Rien de plus.
    Il trouve alors un lit confectionné de paille, dans l'étable sans animaux, puis s'endort dans un sommeil sans rêves.
    Le matin il s'éveille, prend un croûton de pain sur la table et sort pour continuer sa marche. Des mois que cela dure. Immuable, sans répit, sans idée de l'avenir.

    Un soir, comme il approchait d'une de ces maisons, découverte derrière une butte minuscule, il alla, comme à son habitude, vers cette femme qui aurait bien pu être la même que celle de la veille ou encore de trois jours auparavant.
    Chose curieuse elle s'approche de lui alors qu'il n'est encore qu'à une cinquantaine de mètres de l'entrée. Il s'arrête intrigué.
    Quelques mètres les sépare. Il n'ose bouger. Il ne sait que faire. Les situations nouvelles ne font plus partie de ses mœurs. Dix secondes interminables sous le soleil crachant ses dernières flammes.
    " Bonjour Ton ", lance-t-elle.
    Effrayé par le son de la voix, il recule.
    Elle lui prend la main. Il s'en détache. Ses yeux fuit le regard opalin de la jeune femme. - Venez, on vous attend. Ce n'est pas le moment de nous mettre en retard, ajoute-t-elle en l'entraînant vers le bâtiment.
    Ahuri, les pieds battant la poussière, des milliers de questions lui assaillant l'esprit, Ton la suit maladroitement.
    Il passe le pas de la lourde porte de bois et sent sur lui comme des centaines d'yeux se tournant vers lui de concert. Des voix se taisent. La femme l'installe sur une chaise. Tous les volets sont clos.
    Assis au milieu de la sombre pièce, il n'ose toucher au repas posé sur la table. L'envie ne lui en manque pourtant pas. Des mets fabuleux s'alignent près de lui comme jamais il ne se rappelle en avoir vu.

    - Ne vous gênez pas, Ton, mangez. La journée a du être dure, il vous faudra des forces. " Ca oui, la journée fut dure, pense-t-il, mais pas autant que ce qu'il m'arrive. Et pourquoi me faudrait-t-il des forces ? "
    Les conciliabules reprennent peu à peu. Six, peut-être sept personnes, semblent être là, tapies dans l'ombre comme attendant leur tour d'intervenir.
    Finalement, quelqu'un vient vers lui, s'avançant dans la faible lueur des bougies. C'est un homme paraissant assez âgé, mais qui porte encore en lui toute la robustesse de ses trente ans. Pourtant, au fond de ses yeux on peut percevoir une histoire vieille de plusieurs siècles. Ton tremble face à lui.
    - Ne craignez rien, dit-il, d'une vois douce et monocorde, ici, il ne peut plus rien vous arriver.
    Dominant sa peur Ton lui demande :
    - Je pourrai repartir demain matin ?
    - Je ne m'attendais pas à entendre cela de votre part, rétorque le vieillard, mais tout dépendra de vous, on ne peut pas vous en empêcher. Pour l'instant vous allez m'écouter. Ton le fixe, prêt à tout.
    - Vous est-il jamais arrivé de vous demander dans quel but vous errez au travers de cette morne campagne, commence le vieil homme, ni même comment vous êtes arrivé dans ce pays ? - Depuis le temps que je marche je ne me pose plus trop de questions de ce genre, vous savez. J'en suis arrivé au point où la notion d'existence, de vie, de mort, de but me sont devenus totalement étrangers. Mon errance est devenue ma seule compagne.
    - Vous ne voudriez pas connaître une certaine liberté, avoir la possibilité de faire des choix, de connaître d'autres gens, d'autres horizons ?
    - Non. Je ne pourrai pas m'adapter à cette foule d'informations qui m'agresseraient sans cesse de tous bords, sans forcément en sentir leur signification ni même leur profondeur. - Nous sommes réunis ici pour vous apprendre à faire face à tout cela. Ecoutez bien. Et Ton appris en une seule nuit plus qu'il n'en savait sur lui-même, sur le pays qu'il traversait depuis des mois, sur les gens qu'il rencontrait chaque soir. Il sut qu'il était originaire d'une planète lointaine maintenant disparue, engloutie par un cataclysme naturel. Des savants de son époque l'avait envoyé vers une destination inconnue, avec quelques-uns de ces semblables, pour qu'il puisse découvrir un nouveau lieu de vie et que leur race s'y développe et y fonde une nouvelle société. Mais une faille, durant le voyage les avaient tous tués.
    - Ainsi donc, je suis mort et pourtant bien vivant parmi vous, dit-il sans être sûr de ce qu'il avançait.
    - Vous êtes mort pour votre univers, votre dimension, votre temps. Vous êtes ici, alors que cela est, normalement, totalement improbable.
    - Mais comment expliquez vous ma "petite promenade de santé" ?
    - Lorsque vous êtes arrivé, il y a eu une interférence puisqu'une partie de votre univers s'immisçait dans le notre. Tout de suite, nous avons réagi en vous isolant, de façon quasi stérile, comme sous une bulle. Ensuite, nous vous avons observé, pour être sûr que nous ne courrions aucun danger, en vous sondant entièrement de façon insensible et indolore pour vous. Je dois avouer que votre manque de réactions nous a un peu étonné, mais nous avons attribué cela au choc du transfert.
    - Une question me brûle les lèvres : êtes vous véritablement humanoïdes ?
    - Pas du tout. Nous prenons les apparences que vous voulez que l'on prenne par rapport à vos références de votre subconscient.
    - Mais... Pourrais-je vous voir tels que vous êtes réellement ?
    - Bien sûr, rien de plus simple.

    Ton courrait au travers de l'interminable champ de blé. Il lui semblait que cela faisait des heures qu'il essayait de fuir sa peur, son dégoût de la vision de ces êtres. Il voulait mourir dans l'instant. Pourtant, le vieillard lui avait dit que sa vie serait au moins trois fois plus longue que la normale, qu'il aurait tous les honneurs dus à quelqu'un de son rang, qu'il lui créerait des hommes synthétiques mais très réalistes pour que sa vie soit proche de celle qu'il aurait eue sur Terre.
    Mais une petite voix dans sa tête lui criait : Non, jamais !!...
    Il s'arrêta près d'un arbre, essoufflé, haïssant le destin de lui avoir donné une issue aussi ridicule.
    Il fallait en finir tout de suite.
    Alors qu'il se jetait de la plus haute branche du chêne, et que le sol se rapprochait à une vitesse fulgurante, il revit une dernière fois le vieillard se transformer en une énorme mouche gluante et lui disant : " En plus, nous savons que notre physionomie vous est familière, vous n'aurez pas de mal à vous adapter à notre entourage."





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